mercredi 31 octobre 2012

La merveilleuse histoire de Fadela, ses trois chiens et les oiseaux migrateurs

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Il était une fois une petite fille qui s'appelait Fadela. Elle vivait dans un chenil avec sa famille et tous ses amis. Elle était rieuse et bonne écolière. Sa vie était très difficile. Le chenil était grand, mais ses amis étaient nombreux, et tout le monde s'entassait et s'arrangeait du mieux possible, c'est à dire pas grand chose.
Ils étaient gardés par trois chiens. Un vieux tout gris qui s'appelait Fatah, il n'avait plus l'air très féroce mais restait encore dangereux. Elle l'avait vu mordre son père, plusieurs fois. Le second était marron, pas très gros, mais jeune et très féroce, il s'appelait Hamas. Il était toujours après ses frères, et ne la laissait rien faire. Elle ne pouvait pas sortir sans leur demander, ni aller chercher de l'eau. Dés que Hamas voyait sa peau, il menaçait de la mordre. Elle s'enveloppait dans la nappe quand il était là. Le troisième était beaucoup plus gros, beaucoup plus dangereux, mais ça ne se voyait pas, il avait toujours l'air placide, il était tout noir et s'appelait Israël. Il était toujours dans leurs jambes, et s'étalait sur le canapé. Les trois chiens ne s'entendaient pas du tout, ils n'arrêtaient pas de se battre jusqu'au sang. Mais c'est Israël qui commandait, il mangeait le premier, gardait la porte et dormait sur le lit de Fadela qui n'avait plus qu'à se pelotonner dans un coin de la chambre. Les deux autres mangeaient ce qui restait, et les amis de Fadela n'avaient plus que les odeurs pour se nourrir. Fatah et Hamas s'occupaient de commander à l'intérieur du chenil, ils empêchaient qu'on fasse quoi que ce soit ne sa propre initiative, il fallait que tout passe par eux, ils se disputaient sans arrêt, on ne savait pas comment obéir à l'un sans déplaire à l'autre. Le gros Israël restait couché en travers de la porte. On ne pouvait pas aller au bord de l'eau, ni aller cueillir les citrons. La grande école était en dehors du chenil, et le gros chien noir trouvait mille tracas pour embêter Fadela quand elle voulait passer. Il lui faisait rater la classe et l'empêchait de se présenter à ses examens. Il lui faisait peur exprès et montrait ses babines quand ses frères voulaient la défendre. Il avait aussi des chemins qui lui étaient réservés au beau milieu des allées du chenil, et Fadela et ses amis devaient raser les murs pour le laisser passer.
Un jour où les trois chiens se battaient comme souvent, tout le monde était affolé, et Fadela restait cachée au fond de sa chambre en tremblant. Ses deux frères étaient fatigués au delà de toute patience, de ces bagarres perpétuelles. Ils ramassèrent des pierres et entreprirent de caillasser le gros chien noir pour tenter de le faire partir du camp. De le dégoutter. Ce genre de chien ne peut se traiter que comme ça, disaient-ils. Elle ne les a jamais revus. Ses amis disaient que le gros chien les avait dévorés sous leurs yeux. A partir ce jour, la vie devint infernale pour Fadela. Le Chien la regardait avec de sales yeux, et l'empêchait de tout. Couché sur le canapé, parfois il ne la quittait pas des yeux, avec son air calme et mort. Fadela ne faisait plus rien d'autre qu'étudier, elle ne levait plus les yeux de ses cahiers, elle apprenait les langues des étrangers, et leurs histoires. Au chenil, il n'y avait pas le droit d'avoir d'histoire. On était gardé et c'était tout. Dans toutes ces langues, elle écrivait des petits messages de curiosité qu'elle confiait aux pigeons voyageurs qui, quelque fois, se posaient sur la fenêtre de sa chambre quand les trois chiens avaient le dos tourné.

Un jour où on étouffait de chaleur, et où après une nouvelle sanglante bagarre, Fatah, Hamas et Israël restaient couchés à lécher leurs plaies, un vol de drôles oiseaux s'est présenté, comme le soir tombait, et tout le monde était fatigué. Il n'y avait plus assez d'eau, et on ne savait plus comment abreuver le chenil. Le groupe d'étrangers était très dépareillé, on y voyait quelques colombes, un ou deux canards, un merle moqueur, une vieille poule, et un oiseau de paradis magnifique et exotique. Le vieux merle déplumé s'est adressé aux trois chiens et dit : Mes valeureux seigneurs, gardiens des chenils, et fiers guerriers dont le nom résonne à travers les mers, nous avons appris que vous manquiez d'eau, que les enfants étaient trop nombreux dans votre chenil, que vous ne savez plus quoi en faire. Nous vous apportons en signe d'amitié des remèdes pour vos terribles plaies, et grâce à eux, vous retrouverez votre pelage majestueux. - Et qu'est-ce que vous demandez en échange, demanda Fatah qui était le plus vieux et le plus malin.
– La petite Fadela.
Tous se tournèrent vers Fadela avec un air abasourdi. Qui pouvait bien s'intéresser à ce brin de fille qui ne levait jamais le nez de ses cahiers et dont on ne connaissait même pas la voix.
- Et pourquoi celle-là,  fit Hamas sur un ton suspicieux, le dos hérissé.
- Parce qu'elle connaît nos langues, et qu'elle sera précieuse à votre service, dans notre pays d'où elle vous rapportera remèdes et inventions.
Tous se tournèrent vers Israël.
- Ce sont vos affaires, conclut-il, sans marquer le moindre signe d'intérêt. Mais je veux la moitié des remèdes et toutes les inventions, parce que je suis le plus gros, et plus gravement blessé depuis la nuit des temps, ajouta-t-il.
Les deux autre faillirent s'emporter, mais ils ne voulurent pas risquer de perdre l'autre moitié des remèdes, et se turent.
Fadela dut s'envelopper dans sa nappe, pour ne pas énerver Hamas, et sortir du chenil sous les yeux de tous ses amis qui n'en croyaient pas leurs yeux. Elle fut saisie par deux solides goélands qui étaient chargés de son transport.
Au moment de décoller, son père s'approcha d'elle, les larmes aux yeux. Il avait peine à parler mais chacun put entendre distinctement qu'il lui disait : Ton départ, mon dernier enfant, me laisse plus seul que jamais. Personne ne pourra plus prendre soin de mon vieux corps, ni éclairer mes nuits tombantes d'un sourire lumineux.  Pars, mon enfant, sans regret. 
Il baissa la voix et le silence fut tendu comme un matin de guerre. Il souffla : Je suis fier de toi, ma fille.
 Les vieilles commençaient à renifler, le nez dans leurs nappes.
- Je vous confie mon père, lança Fadela à tous ses amis, prenez soin de lui. Je vous aime.

En décollant, elle se cramponna à ses nouveaux compagnons, et n'eut pas un regard. Ni pour les trois chiens ni pour personne.


Fadela (mimi-et-fadela.blospot.fr)


18 commentaires:

  1. On fera quelque chose de toi si les p'tits cochons-pinard ne te mangent pas.

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  2. Bonjour Fadela,
    J'ai lu aussi la typologie (et la présentation des belettes).
    Je ne sais pas si la typologie a été reprise sur Mediapart comme tu en as exprimé le souhait.
    "La merveilleuse histoire..." le mériterait aussi.
    La difficulté, ou le risque, ce sont toujours les chiens. Ici ce ne sont que des petits roquets, il vaudrait mieux dire les chacals, ou les hyènes d'ailleurs... savoir se tenir à distance. Ils ont l'art du piège.

    En parlant de chiens... avez-vous lu, toi et Mimi, "Matin brun" ?

    M. et F.
    C'est rigolo... Maurice et Félix vous saluent bien.

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  3. Oui oui, assez intéressant dans le domaine de comment naissent les idées pourries. Sur quel fond marécageux, la majorité silencieuse peut se transformer en machine d'oppression. Questionnant aussi un certain "pacifisme" passif qui nous semble suicidaire et diamétralement opposé au pacifisme actif de la résistance.

    "C'est comme ça, ma fille" "se soumettre ou se démettre", etc.

    A propos de MdP, on irait bien, mais on ne veut pas que nos mails perso, ni nos adresses n'apparaissent nulle part. Trop dangereux. On étudie la question.

    Bonjour à Maurice et Félix. On envisage aussi de publier nos conversations. mais les rois de la litote, c'est eux.

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  4. Fadela, si seulement ... tu m'as émue aux larmes.

    Prends soin de toi et de mimi.


    Paulette

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    1. Merci ma douce tante Paulette,

      dis donc, par parenthèse, mon horloge de blog déconne grave, il n'est pas 3h07. ou je rêve.

      Comment remettre les pendules à l'heure ?

      Fadela

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    2. Ma Chérie,

      J'avais pas vu ton message mais j'ai envoyé un tweet à Tonton Gabriel pour la pendule.

      Bonne nuit les petites.

      Paulette

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    3. Et mille tendresses à Léon. (t'as pas besoin d'un coup de main, je suppose)

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  5. Émancipation: affranchissement, libération d'une tutelle, indépendance...

    Et puis, c'est curieux, dans les dicos plus actuels que j'ai consultés en français comme en espagnol il est noté: féminisme. Ou alors l'on trouve une référence à la libération de la femme.
    Comme si de centaines de millions de petits garçons et de grands hommes n'étaient pas assujettis à des mécanismes cérébraux qui les formatent et les enchaînent. Comme si le concept d'émancipation n'était pas fait pour les hommes aussi?
    Je rêve que de jeunes pousses telles que vous, Fadela, feront intégrer dans les dicos d'avenir à ce concept: domestication de "chiens" enragés.

    Fraternité.

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    1. Chère JNSPQD,

      La domestication de chiens enragés !! Très intéressant. On dirait du Euripide, ou du Homère.
      Je croyais que c'était ça qu'on appelait civilisation.

      Il y a un mot que j'adore malgré tous les détournements qu'il subit. C'est le mot Culture.

      Cultivé soigneusement. Comme on cultive les orchidées.

      Culture, ma définition: pratique de l'épanouissement, individuel et collectif.

      Arrêter le désastre.

      Fadela

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  6. Les oiseaux venus d'ailleurs ont soustrait l'enfant studieuse à sa prison et l'ont emportée loin, à tire d'aile. Même la poule, en dépit de son grand âge, savait encore voler....

    Sont-ce des chiens, ces hommes qui se battent? me demande le bon chien qui est à mes côtés, si tendre, un peu vexé.

    C'est une métaphore, lui dis-je, les humains se traitent de chiens, de loups, d'ânes ou de porcs quand ils veulent dénoncer leurs défauts. Mais il y a des mamans poules, de bons chiens fidèles, et des doux regards de biche, rassure-toi.

    Merci de nous faire partager ce joli conte de libération, Fadela.

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  7. Oh merci !

    Pardon au brave chien amical. Il y a aussi des bergers magnifiques et nobles. Et de pauvres clochards efflanqués et errants. Ou encore de puissants et joyeux tracteurs de traineaux.

    Ceux-ci sont de féroces chiens de gardes qui mordent leurs troupeaux affamés.

    Que Dieu leur pardonne ! Moi, j'attendrai qu'ils me le demandent.

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    1. Les humains, dotés de parole, prêtent à celui qui est (dans leur hiérarchie) en dessous leur propre vilenie.

      Salauds d'humains qui font le mal mais disent que c'est une histoire de bêtes!
      Des clous! Ce sont des histoires d'humains! Qu'ils les assument!
      Ils veulent s'en dédouaner à bon compte en accusant les bêtes de leurs turpitudes. Et au besoin en plaidant la folie. Trop fastoche: C'est non.

      Dans votre conte, j'ai remarqué parmi les sauveteurs (tous dotés de becs, de plumes et d'ailes) un vieux merle moqueur porte-paroles.
      Il me rappelle quelqu'un, ce drôle d'oiseau ;-)

      Bonne journée. J'aime beaucoup les petites filles studieuses qui observent le monde et cherchent à le comprendre pour mieux en combattre les sombres dérives.

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    2. Seriez-vous une fine mouche ?


      Si vous saviez comme je l'aime mon vieux merle.

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    3. Bzzz ;-)
      C'est vrai qu'il est sympa, ce vieux merle.

      J'aime aussi beaucoup les merles, mais je ne veux pas être une mouche car il risque de me happer dans son bec!

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  8. Celui-ci ne ferait pas de mal à une mouche.

    C'est vrai que je l'ai vu en colère, le capitaine haddock pouvait aller se rhabiller, ou venir faire un stage. Mieux vaut ne pas être le Sapajou qui se prend ce genre de paquet sur la bobine. Mais ça retombe instantanément comme un orage sur la mer.

    Mimi et moi, il ne nous a jamais fait de mal. Et mille fois du bien.

    Et il nous apprend le combat.
    Quelques fois on l'appelle Yoda pour se foutre de lui.
    J'aurais pas du dire ça, il va m'en vouloir.
    Fadela

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  9. Jonathan Livingstone Le Goéland

    Merci les Miss ..

    Si vous ne l'avez ni lu ni vu , le livre est nettement mieux que le film , mais les deux valent les minutes qu'on leur consacre .
    http://www.dailymotion.com/video/x2glqo_neil-diamond-jonathan-livingston-go_music

    Je n'aime pas le résumé wikipedia ... mais vous le trouverez sans aucun problème ..

    Si on naît goéland on doit mourir goéland conformément à l'indiscutable loi des goélands. Jonathan n'accepte pas que rester goéland puisse de façon inéluctable impliquer de devoir rester limité toute sa vie à sa condition de goéland commun, semblable, conforme, fidèle à un stéréotype. Il exhorte ses semblables à cesser de se contenter de vivre pour manger, mais ses semblables ne comprennent pas, et surtout ils craignent le poids des lois et des traditions. Jonathan, lui, veut connaître tout ce qu'un goéland peut connaître, veut dépasser les limites établies non pas par l'espèce (ces lois-là sont celles de la nature)... mais établies par la loi, par l'autorité, par la tradition. Pour continuer à vivre pleinement son envie de trouver les limites et les dépasser, Jonathan doit poursuivre sa quête en solitaire. Rejeté par l'assemblée des Goélands pour cause de "mauvais exemple" mettant en danger la loi et la tradition, il est banni du Clan à perpétuité.

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  10. Hello Shadok,
    Nous nous souvenons très bien de ce livre, l'une et l'autre. Moyennement aimé.

    Comment dire, c'est le côté psychosocio, développement personnel. ça agace Mimi.

    Moi, je me suis beaucoup plus laissée faire. ça m'a fait un peu comme Herman Hesse. Un espèce de sagesse tragique et risquée, l'expérience de la liberté, les nécessités de l'anticonformisme pour devenir son propre référent, etc. Moins fort que Hesse, moins profond, moins essentiel, encore très embarrassé du culte de l'ego, le lonesome poor cow-boy. La philosophie individualiste autoproclamatrice.l'"amérique" quoi.
    Mais je l'ai lu avec plaisir.

    Merci à toi très sincèrement. Les livres, c'est 80% de notre vie.

    Fadela

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